vendredi 27 mai 2011

Drôles de Dames

Cape Code morning, Edward Hopper.1950
Cape Code Afternoon, Edward Hopper.1936

Betty et ses filles débute un peu comme Un été sans les hommes. Betty, issue de la bourgeoisie juive et septuagénaire, vient d'être quittée par son époux pour "différences incompatibles" après quarante-huit ans de mariage. Elle cède la place à Felicity, à moins que ce ne soit Pleurisy (Pleurésie = inflammation de la plèvre) ou Duplicity la dangereuse collègue (décidément). Le ton est donné. Betty décide alors de se réfugier dans un cottage misérable, à Westport (le fantôme de Redford n'est pas loin), près des somptueuses plages de Cape Code, accompagnée de ses deux filles. L'auteure va s'attacher avec beaucoup de grâce et d'humour aux destins de ces  dames du temps jadis.
Annie, l'aînée, divorcée et mère de deux grands enfants, aborde la vie de manière raisonnable alors que Miranda, agent littéraire égocentrique s'empêtre dans des histoires d'amour qui finissent mal en général. Sa carrière semble également tourmentée puisqu'en passant à la fameuse émission d'Oprah Winfrey, elle fait l'objet d'un scandale. Très attachées à leur mère, les deux soeurs vivent pourtant une relation quelquefois difficile, décrite si justement dans ce extrait :

"Elle (Annie) s'était toujours inquiétée pour Miranda. Même quand Miranda se trouvait au sommet, Annie avait gardé un oeil sur sa soeur cadette. Un reste d'enfance - la responsabilité de sa soeur, qui exigeait tant et semblait monopoliser l'essentiel de l'affection de leurs parents. C'était également une forme de pouvoir pour Annie, moitié protection, moitié supériorité, qui se traduisait par une attitude protectrice un peu guindée. Si Annie ne veillait pas sur Miranda, quel autre rôle pouvait-elle jouer ? Seul convenait le ressentiment. Or le ressentiment était un sentiment inconfortable. Annie aimait Miranda, jugeait impossible de ne pas l'aimer, et elle avait découvert très tôt une manière de l'aimer en toute dignité : l'inquiétude."

La vie au cottage se déroule au fil des saisons avec ses joies, son faste et ses tourments. Pour les amoureuses de vintage et du désuet, ce livre s'offre à vous. Paysages surannés, intrigues amoureuses et féminisme alimentent ce récit qui n'est pas sans rappeler les romans de Daphné Du Maurier et de Jane Austen (décidément), avec l'humour juif à la Woody Allen en plus : 

"Miranda Weissmann était terrifiante. Ce jugement datait de plusieurs années, à l'époque où, après un bref engouement pour les séances de gymnastique oculaire chez l'orthoptiste, elle se refusa à porter des lunettes ou des lentilles, ce qui eut pour conséquence qu'elle passait alors dans les rues sans reconnaître les gens qu'elle croisait. Avec ses manières apparemment distantes, auxquelles s'ajoutait une tendance à demander à son assistante divers papiers qui se trouvaient sous ses yeux et l'habitude d'inviter des éditeurs sans remarquer qu'on lui tendait l'addition et de s'eclipser en les plantant là, sa réputation était faite. La myopie fit de Miranda quelqu'un d'irrationnel, de despotique, d'hypocrite et d'autoritaire. La myopie fit sa réputation."

Un ouvrage impressionniste ponctué de références littéraires, léger et grave, d'une extrême élégance. Même si la fin m'a quelque peu déçue, je me sens orpheline de ces trois drôles de dames, si vivantes et si attachantes.



Betty et ses filles, Cathleen Schine, éd. Phébus 20 €

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