lundi 30 mai 2011

A vos Marques !



Je sais que ce blog suscite de la part d'entre-vous de l'intérêt mais toujours pas de commentaires. Ce serait un énorme plaisir de recevoir l'un de vos avis, si toutefois vous aviez lu l'un des romans dont je parle. Un avis en anglais, en allemand, en chinois et en français peut-être. Merci à vous mystérieux et mystérieuses visiteurs.

vendredi 27 mai 2011

Drôles de Dames

Cape Code morning, Edward Hopper.1950
Cape Code Afternoon, Edward Hopper.1936

Betty et ses filles débute un peu comme Un été sans les hommes. Betty, issue de la bourgeoisie juive et septuagénaire, vient d'être quittée par son époux pour "différences incompatibles" après quarante-huit ans de mariage. Elle cède la place à Felicity, à moins que ce ne soit Pleurisy (Pleurésie = inflammation de la plèvre) ou Duplicity la dangereuse collègue (décidément). Le ton est donné. Betty décide alors de se réfugier dans un cottage misérable, à Westport (le fantôme de Redford n'est pas loin), près des somptueuses plages de Cape Code, accompagnée de ses deux filles. L'auteure va s'attacher avec beaucoup de grâce et d'humour aux destins de ces  dames du temps jadis.
Annie, l'aînée, divorcée et mère de deux grands enfants, aborde la vie de manière raisonnable alors que Miranda, agent littéraire égocentrique s'empêtre dans des histoires d'amour qui finissent mal en général. Sa carrière semble également tourmentée puisqu'en passant à la fameuse émission d'Oprah Winfrey, elle fait l'objet d'un scandale. Très attachées à leur mère, les deux soeurs vivent pourtant une relation quelquefois difficile, décrite si justement dans ce extrait :

"Elle (Annie) s'était toujours inquiétée pour Miranda. Même quand Miranda se trouvait au sommet, Annie avait gardé un oeil sur sa soeur cadette. Un reste d'enfance - la responsabilité de sa soeur, qui exigeait tant et semblait monopoliser l'essentiel de l'affection de leurs parents. C'était également une forme de pouvoir pour Annie, moitié protection, moitié supériorité, qui se traduisait par une attitude protectrice un peu guindée. Si Annie ne veillait pas sur Miranda, quel autre rôle pouvait-elle jouer ? Seul convenait le ressentiment. Or le ressentiment était un sentiment inconfortable. Annie aimait Miranda, jugeait impossible de ne pas l'aimer, et elle avait découvert très tôt une manière de l'aimer en toute dignité : l'inquiétude."

La vie au cottage se déroule au fil des saisons avec ses joies, son faste et ses tourments. Pour les amoureuses de vintage et du désuet, ce livre s'offre à vous. Paysages surannés, intrigues amoureuses et féminisme alimentent ce récit qui n'est pas sans rappeler les romans de Daphné Du Maurier et de Jane Austen (décidément), avec l'humour juif à la Woody Allen en plus : 

"Miranda Weissmann était terrifiante. Ce jugement datait de plusieurs années, à l'époque où, après un bref engouement pour les séances de gymnastique oculaire chez l'orthoptiste, elle se refusa à porter des lunettes ou des lentilles, ce qui eut pour conséquence qu'elle passait alors dans les rues sans reconnaître les gens qu'elle croisait. Avec ses manières apparemment distantes, auxquelles s'ajoutait une tendance à demander à son assistante divers papiers qui se trouvaient sous ses yeux et l'habitude d'inviter des éditeurs sans remarquer qu'on lui tendait l'addition et de s'eclipser en les plantant là, sa réputation était faite. La myopie fit de Miranda quelqu'un d'irrationnel, de despotique, d'hypocrite et d'autoritaire. La myopie fit sa réputation."

Un ouvrage impressionniste ponctué de références littéraires, léger et grave, d'une extrême élégance. Même si la fin m'a quelque peu déçue, je me sens orpheline de ces trois drôles de dames, si vivantes et si attachantes.



Betty et ses filles, Cathleen Schine, éd. Phébus 20 €

lundi 23 mai 2011

Un été Américain

Mia, poétesse new-yorkaise, en pleine crise conjugale, son mari, éminent scientifique désirant faire une pause (la pause est une collègue) trouve refuge auprès de sa mère, dans le Minnesota. Dès lors, elle rencontre les amies octogénaires de sa mère non moins surprenantes par leur vivacité, approche un groupe d'adolescentes impétueuses par le truchement d'un cours de poésie et découvre sa voisine Lola avec son armada de chérubins.
Le récit qui s'articule autour de la figure emblématique de Mia incarne l'intelligence, la folie, le féminisme, l'ironie et la sagacité. Celle-ci est un prétexte à différentes réflexions portées sur les femmes en général, la conscience de soi, les processus de l'inconscient, sur la littérature. J'ai le plaisir de vous offrir un passage concernant Jane Austen :

"Le samedi à cinq heures de l'après-midi, le club de lecture de Rolling Meadows se réunit dans la bibliothèque autour de petits sandwichs et de verre de vin plus petits encore afin de discuter de la romancière Jane Austen, auteur de Persuasion, observatrice ironique et disséqueuse précise des sentiments humains, styliste céleste, et auteur qui régla leur compte aux moines pervers mais conserva sa propre conception de la vertu récompensée. Aimée autant que détestée, elle a maintenu ses critiques en haleine. "Une bonne bibliothèque est une bibliothèque qui ne contient pas d'ouvrage de Jane Austen, a dit Mark Twain, enfant chéri de la littérature américaine, même si elle ne contient aucun autre livre." Carlyle qualifiait ses livres de "triste camelote". Aujourd'hui encore, on lui reproche d'être "étroite" et "claustrophobe", et on relègue au statut d'écrivain pour les femmes. la vie en province, indigne d'observation ? Les douleurs des femmes, sans importance ? ça peut aller quand c'est Flaubert, bien entendu. Pitié pour les idiots."

Ce livre est un objet de plaisir, on se sent bien entre femmes, comme enveloppé dans sa couette un matin d'hiver. D'une richesse et d'une érudition enivrantes. Un livre cocooning, d'une qualité irréprochable qui m'a permis de faire une belle rencontre, celle de Mia  mais également celle de Siri Hustvedt, la femme de Paul Auster.
Ce livre élève notre âme. Intense, intime, pénétrant, inclassable et inoubliable !




Un été sans les hommes, Siri Hustvedt, éd. Actes Sud 18 €
La femme qui tremble, éd. Actes Sud 22 €
Tout ce que j'aimais, éd. Babel 9,50 €

samedi 21 mai 2011

Entretien avec Siri Hustvedt

Siri Hustvedt, la femme de Dieu
Eros : Vous avez déclaré récemment à Grenoble : "Pour être un bon lecteur, il faut être ouvert. Lire, c'est comme le sexe : si vous n'êtes pas détendu, disponible, vous n'aurez pas de plaisir." Croyez-vous dès lors à l'orgasme de l'esprit ou de l'âme ?

Siri Hustvedt : Ce que je voulais dire par ce commentaire, qui se voulait humoristique et était en même temps sérieux, c'est que ce n'est pas seulement le but de l'orgasme qui compte, c'est plutôt la collaboration. Dans ce cas, c'est la collaboration entre le texte et celui qui le lit, le lecteur. Donc il ne faut pas être figé dans des attentes, il faut éliminer ses préjugés. Et une expérience érotique implique une ouverture à tout ce qui peut arriver. Le fait de jouir ou de ne pas jouir va dépendre entièrement de la qualité de la collaboration.

Jean-Michel Lucas : Quels sont vos outils de travail ?

Siri Hustvedt : Pour commencer, il me faut de la tranquillité, de la solitude, et une ouverture envers des processus de l'inconscient. C'est ce que j'appelle jouer ou danser. Ce que je peux dire, c'est qu'aucun écrivain ne peut écrire sans avoir beaucoup lu. Et l'écriture est une réponse à tout ce qu'on a pu intégrer à travers de nombreuses lectures au cours du temps. Un écrivain ne peut pas écrire sans avoir lu beaucoup de livres. Même s'il y en a, parmi ces livres, qu'il a oubliés. Il y a une mémoire explicite où l'on se souvient de ce qu'on a lu et on peut l'exprimer. Moi, je parlais plutôt d'une mémoire implicite où ces livres sont présents dans notre mémoire. La psychanalyse est une discipline qui sert à interpréter des processus de l'inconscient.

nila : Est-ce qu'on n'utilise pas un peu vite le mot psychanalyse dès que l'écrivain analyse une situation, un personnage et fouille dans son passé ?

Siri Hustvedt : La psychanalyse est une discipline qui sert à interpréter des processus de l'inconscient. Donc d'une manière purement technique on peut analyser n'importe quel texte. Certains textes sont plus intéressants que d'autres. Mais psychanalyser un texte littéraire peut nous permettre de révéler des aspects dont même l'écrivain ne se rendait pas compte.

marc_2 : Croyez-vous à l'inconscient ?

Siri Hustvedt : Oui. En neurobiologie, on peut dire que tous les scientifiques croient en l'inconscient. Beaucoup de ce qui se passe dans le cerveau est inconscient. Il y a les processus biologiques : respirer, les palpitations du cœur, tout cela, bien sûr. Mais il y a également des souvenirs qui sont dans l'inconscient et des pensées qui ne nous sont pas disponibles. Ce n'est pas seulement, donc, une théorie de psychanalyse. On trouve cette même notion dans les théories de neurobiologie. D'ailleurs, il semblerait qu'il y ait encore plus de choses dans l'inconscient que ce que même Freud aurait imaginé.
 
Angel of death : Après plusieurs romans, un essai... est-ce que l'injustice environnante vous pousse à vous éloigner de l'imaginaire pour dénoncer le quotidien ?
Siri Hustvedt : Non. J'ai obtenu un doctorat en littérature anglaise en 1986, mais depuis quinze ans, j'ai écrit de nombreux essais. En France vous avez des recueils d'essais récemment. J'ai écrit des essais sur l'art, et sur d'autres domaines, depuis longtemps. Je considère que cela fait partie de mon travail, mais je n'ai pas du tout l'intention d'arrêter la fiction. Je fais des allées et venues entre les deux, entre la fiction et les essais.

11 septembre : Au-delà de la tragédie que vous avez évoquée dans vos romans, qu'est-ce qui dans le 11-Septembre frappe le plus l'écrivain que vous êtes ? En avez-vous parlé entre romanciers ? Avec ou sans votre époux, Paul Auster...

Siri Hustvedt : Je dois dire que les faits du 11-Septembre n'ont pas changé ma perspective sur le monde.
Bien entendu, il s'agissait d'une catastrophe horrible pour la ville de New York et aucun New-Yorkais n'est resté indemne, car cela a touché tout le monde de très près. Certains écrivains ont dit, après le 11-Septembre, qu'ils ne pourraient plus travailler de la même manière. Certains ont parlé de la fin de l'ironie. Mais je dois dire que je ne l'ai pas ressenti comme cela du tout. J'ai toujours su que l'homme est capable d'actes terribles. Et pour moi, l'ironie fait partie intégrante de l'existence humaine. J'ai déjà écrit sur des événements terribles ; par exemple dans "Tout ce que j'aimais", je parle de la Shoah, de meurtres, d'enfants morts. Donc j'ai déjà écrit sur des événements de ce genre.

Bush & Co : Si le 11-Septembre vous a inspiré... est-ce que le bushisme ou Barack Obama vont également vous inspirer comme héritage politique ou phénomène planétaire ? Qu'attendez-vous du nouveau président américain ?

Siri Hustvedt : J'ai été absolument ravie par l'élection d'Obama, et d'ailleurs, je suis toujours sur un nuage. Pour moi, son élection représente une ère nouvelle. Nous allons voir les Etats-Unis aller un peu plus vers la gauche. Ce ne sera jamais un pays socialiste, cela ne fait pas partie de notre héritage et de nos traditions. Mais la présidence de M. Obama représente certainement une nouvelle ère, avec plus de réglementation, de protection sociale et de sécurité sociale pour tous. C'est une nouvelle ère qui s'ouvre devant nous. 

Entretien Le Monde, le 20.05.2009

mercredi 18 mai 2011

Pommes Pommes girls en Allemagne

En attendant la fin de ma lecture d'un été sans les hommes, je vous conseille de kidnapper Le goût des pépins de pomme de Katharina Hagena. 
A la mort de sa grand-mère, Iris hérite de la maison familiale sans être sûre de vouloir l'habiter. Elle y passe une semaine et redécouvre les pièces qui lui évoquent des fragments de son enfance. Iris retrouve des lieux, des personnes et des sensations qui lui rappellent son passé mais bien vite, elle se remémore le pommier et le sol de la verrière. Un drame imprègne les murs de cette demeure qui a vu la cousine d'Iris, Rosemarie, mourir à l'âge de 17 ans en laissant de nombreuses questions en suspens. Comment choisir de vivre dans cette maison avec ce lourd fardeau ? Vous le saurez en dégustant ce magnifique roman sur la mémoire et la nostalgie, à la fois poétique et mélancolique. Laissez-vous guider par ces femmes, en pleine introspection. Un ouvrage qui laisse place au vagabondage, nous renvoyant à nos propres souvenirs d'enfance, avec beaucoup de tendresse. C'est justement le sujet du livre : imaginez, vous retrouvez par inadvertance un objet cher à votre enfance, la mémoire s'enclenche et les sensations remontent à la surface, quel plaisir !! Un livre, trois générations de femmes, un délice !


Vous aimerez : 
- La pluie avant qu'elle ne tombe, Jonathan Coe éd. Folio 6,80 €
- Les fraises de la mère d'Anton, Katharina Hacker éd. Christian Bourgois -à paraître en août-


Le goût des pépins de pomme, Katharina Hagena, éd. LGF 6,50 €

dimanche 8 mai 2011

L'Italie des Beautés Volées





Cette fois-ci, je vous emmène en Italie avec la lecture d'Acier de la toute jeune Silvia Avallone. Ce roman respire l'Italie et plus précisément la Toscane, pas celle des cartes postales, celle des ouvriers, des barres d'immeubles et surtout de son usine d'acier : ce monstrueux colisée qui emploie la plupart des habitants. 
Un environnement difficile dans lequel évoluent deux jeunes adolescentes, Anna la brune et Francesca, la blonde. Une amitié absolue, crachée au visage tuméfié de cette ville. Les jeunes filles s'exposent, sans pudeur, c'est l'heure de la passeggiatta. Leur grâce et leur éclat s'affichent, se scrutent, quitte à faire mourir de rage leurs pères trop possessifs. Tout juste sortis de l'enfance, ces corps désormais accomplis attirent les regards et attisent les passions. Quoi de plus troublant que cette période faite de grands changements où naissent les premiers émois, la découverte de la féminité, du pouvoir de séduction et peut-être la défloration... 
Et puis, il y a l'usine où travaillent Alessio, Mattia et Cristiano. Un travail de labeur, sournois  et redondant. Pas le choix dans cette ville désespérante. Alors, les frères s'envoient de la coke, les pères vivent de leurs petites combines quand ils ne déversent pas leur rancoeur sous un pluie de coups, pendant que les mères se lamentent. 
L'amitié des deux jeunes femmes va-t-elle résister aux bouleversements qu'engendre leur nouvel aura ? Des beautés volées éprises de liberté et esclaves de leur condition marqueront vos esprits et ne vous laisseront pas indemnes. Cette fresque est une pure merveille grâce aux personnages et au style qui se veut bavard.
Un air brûlant et métallique souffle sur ce roman social, tendre et cru.
Je crois que j'ai du attraper un coup de soleil, un coup d'amour littéraire !



D'acier, Silvia Avallone, éd. Liana Levi 22 €

lundi 2 mai 2011

La Bretagne, ça nous Gagne !

"Nous ne sommes pas seulement les héritiers d'un patrimoine génétique, mais d'un nombre infini d'émotions transmises à notre insu dans une absence de mots, et plus fortes que les mots."

Bretagne, années 50. La jeune narratrice porte un regard lucide, une juste distance sur sa famille brestoise extrêmement modeste. Le menuisier comme elle nomme son père, a pour principale caractéristique le mutisme. Dans cette maison, on ne parle pas, on ne dévoile pas ses sentiments. Des cadres sont accrochés aux murs rappelant un semblant de vie passée, difficilement imaginable dans cette atmosphère quasi-religieuse. Il faut dire que la mère, bigote, cache des secrets mais lesquels ?
L'environnement de la jeune fille est peuplé de morts, de non-dits. C'est ainsi, une vie de taiseux . Difficile de trouver ses marques et sa place et surtout difficile d'être, dire et aimer... Un texte rugueux comme la main cagneuse d'un paysan, de l'acuité et une écriture irréprochable qui m'a transporté. Un roman fort, très imaginatif et émouvant.


La peine du menuisier, Marie Le Gall, éd. LGF 6,50 €