samedi 21 mai 2011

Entretien avec Siri Hustvedt

Siri Hustvedt, la femme de Dieu
Eros : Vous avez déclaré récemment à Grenoble : "Pour être un bon lecteur, il faut être ouvert. Lire, c'est comme le sexe : si vous n'êtes pas détendu, disponible, vous n'aurez pas de plaisir." Croyez-vous dès lors à l'orgasme de l'esprit ou de l'âme ?

Siri Hustvedt : Ce que je voulais dire par ce commentaire, qui se voulait humoristique et était en même temps sérieux, c'est que ce n'est pas seulement le but de l'orgasme qui compte, c'est plutôt la collaboration. Dans ce cas, c'est la collaboration entre le texte et celui qui le lit, le lecteur. Donc il ne faut pas être figé dans des attentes, il faut éliminer ses préjugés. Et une expérience érotique implique une ouverture à tout ce qui peut arriver. Le fait de jouir ou de ne pas jouir va dépendre entièrement de la qualité de la collaboration.

Jean-Michel Lucas : Quels sont vos outils de travail ?

Siri Hustvedt : Pour commencer, il me faut de la tranquillité, de la solitude, et une ouverture envers des processus de l'inconscient. C'est ce que j'appelle jouer ou danser. Ce que je peux dire, c'est qu'aucun écrivain ne peut écrire sans avoir beaucoup lu. Et l'écriture est une réponse à tout ce qu'on a pu intégrer à travers de nombreuses lectures au cours du temps. Un écrivain ne peut pas écrire sans avoir lu beaucoup de livres. Même s'il y en a, parmi ces livres, qu'il a oubliés. Il y a une mémoire explicite où l'on se souvient de ce qu'on a lu et on peut l'exprimer. Moi, je parlais plutôt d'une mémoire implicite où ces livres sont présents dans notre mémoire. La psychanalyse est une discipline qui sert à interpréter des processus de l'inconscient.

nila : Est-ce qu'on n'utilise pas un peu vite le mot psychanalyse dès que l'écrivain analyse une situation, un personnage et fouille dans son passé ?

Siri Hustvedt : La psychanalyse est une discipline qui sert à interpréter des processus de l'inconscient. Donc d'une manière purement technique on peut analyser n'importe quel texte. Certains textes sont plus intéressants que d'autres. Mais psychanalyser un texte littéraire peut nous permettre de révéler des aspects dont même l'écrivain ne se rendait pas compte.

marc_2 : Croyez-vous à l'inconscient ?

Siri Hustvedt : Oui. En neurobiologie, on peut dire que tous les scientifiques croient en l'inconscient. Beaucoup de ce qui se passe dans le cerveau est inconscient. Il y a les processus biologiques : respirer, les palpitations du cœur, tout cela, bien sûr. Mais il y a également des souvenirs qui sont dans l'inconscient et des pensées qui ne nous sont pas disponibles. Ce n'est pas seulement, donc, une théorie de psychanalyse. On trouve cette même notion dans les théories de neurobiologie. D'ailleurs, il semblerait qu'il y ait encore plus de choses dans l'inconscient que ce que même Freud aurait imaginé.
 
Angel of death : Après plusieurs romans, un essai... est-ce que l'injustice environnante vous pousse à vous éloigner de l'imaginaire pour dénoncer le quotidien ?
Siri Hustvedt : Non. J'ai obtenu un doctorat en littérature anglaise en 1986, mais depuis quinze ans, j'ai écrit de nombreux essais. En France vous avez des recueils d'essais récemment. J'ai écrit des essais sur l'art, et sur d'autres domaines, depuis longtemps. Je considère que cela fait partie de mon travail, mais je n'ai pas du tout l'intention d'arrêter la fiction. Je fais des allées et venues entre les deux, entre la fiction et les essais.

11 septembre : Au-delà de la tragédie que vous avez évoquée dans vos romans, qu'est-ce qui dans le 11-Septembre frappe le plus l'écrivain que vous êtes ? En avez-vous parlé entre romanciers ? Avec ou sans votre époux, Paul Auster...

Siri Hustvedt : Je dois dire que les faits du 11-Septembre n'ont pas changé ma perspective sur le monde.
Bien entendu, il s'agissait d'une catastrophe horrible pour la ville de New York et aucun New-Yorkais n'est resté indemne, car cela a touché tout le monde de très près. Certains écrivains ont dit, après le 11-Septembre, qu'ils ne pourraient plus travailler de la même manière. Certains ont parlé de la fin de l'ironie. Mais je dois dire que je ne l'ai pas ressenti comme cela du tout. J'ai toujours su que l'homme est capable d'actes terribles. Et pour moi, l'ironie fait partie intégrante de l'existence humaine. J'ai déjà écrit sur des événements terribles ; par exemple dans "Tout ce que j'aimais", je parle de la Shoah, de meurtres, d'enfants morts. Donc j'ai déjà écrit sur des événements de ce genre.

Bush & Co : Si le 11-Septembre vous a inspiré... est-ce que le bushisme ou Barack Obama vont également vous inspirer comme héritage politique ou phénomène planétaire ? Qu'attendez-vous du nouveau président américain ?

Siri Hustvedt : J'ai été absolument ravie par l'élection d'Obama, et d'ailleurs, je suis toujours sur un nuage. Pour moi, son élection représente une ère nouvelle. Nous allons voir les Etats-Unis aller un peu plus vers la gauche. Ce ne sera jamais un pays socialiste, cela ne fait pas partie de notre héritage et de nos traditions. Mais la présidence de M. Obama représente certainement une nouvelle ère, avec plus de réglementation, de protection sociale et de sécurité sociale pour tous. C'est une nouvelle ère qui s'ouvre devant nous. 

Entretien Le Monde, le 20.05.2009

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire