dimanche 28 août 2011

La Belle Amour Humaine

"Laissez les choses à leur mystère. Maintenant que je ne vois plus, je ne trouve meilleur usage de ma présence au monde que de regarder par la fenêtre. Oui, deux hommes sont morts, deux maisons ont brûlé. Mais est-ce là le plus important ! Un jour, vous aussi vous mourrez. Quand viendra l'heure, posez-vous la question qui compte : "Ais-je fait un bel usage de ma présence au monde ?" Si la réponse est non, ce sera trop tard, pour vous plaindre comme pour changer. Alors, n'attendez pas. Les circonstances de la mort n'offrent pas de clé pour comprendre. La mort demeure pour le vivant la plus banale des occurrences, la seule qui soit inévitable. La mort ne nous appartient pas, puisqu'elle nous précède. Mais la vie..."



Sur une île des Caraïbes, dans un taxi qui la mène à un village côtier, Anaïse, en quête de ses origines écoute patiemment parler son guide qui la met face à sa filiation, loue son village, digresse et philosophe. Peu d'actions pour ce récit, mais une vision du monde dans sa globalité, humaine et piquante. Une ode à la simplicité, à la sagesse populaire, à la générosité et à la beauté, à ces détails qui, lorsqu'on sait les voir, nous procurent beaucoup de bonheur. Ce livre est aussi une parabole sur cette entité, ce village qui rend justice aux belles âmes, à ses habitants solidaires qui pourraient être des personnages d'un tableau de Millet ou de Courbet, sauf qu'ici ce tableau a pour titre La belle amour humaine. Un peu de naïveté, de la subtilité et une question pénétrante et récurrente, quel usage faut-il faire de sa présence au monde ?
Loin des clichés de l'île d'Haïti -sans qu'elle ne soit jamais citée- et de la complaisance à décrire la misère humaine, Lyonel Trouillot nous offre un long chant profondément ancré dans la bienveillance, la douceur du monde, tout en pointant du doigt la violence des villes, la corruption. Il nous amène dans des territoires abyssaux, dans un style poétique, imagé, parfois acerbe mais ce que l'on retient, c'est cet énorme talent, cette immense qualité littéraire et ces diverses pistes de réflexion. Une musique contemplative, lyrique et richissime. 
J'ai trouvé ce texte bouleversant. Je crois même que c'est la première fois qu'un auteur français me touche autant et je crois savoir pourquoi. Lyonel Trouillot est francophone et manie la langue avec ses possibilités non soupçonnées, son altruisme, ses tripes et sa singularité.
La lecture de ce roman fut un moment de grâce, de vagabondage d'esprit et de bonté.


La belle amour humaine, Lyonel Trouillot éd. Actes Sud 17 €
Rue des pas-perdus, Lyonel Trouillot éd. Babel 6,50 €

mercredi 24 août 2011

La guerre niqua et le peintre s'exprima

"Toutes ces choses qu'on ne voit pas. Tout ce qui palpite sans figurer sur les images, ce qu'on éprouve avec force et qui se refuse à nos sens premiers. Et dont on voudrait tellement témoigner pourtant".


D'une part, le chef-d'oeuvre de Picasso qui rend compte de la tragédie de Guernica, symbole de l'horreur, représentant le massacre du peuple espagnol par l'armée franquiste, le 26 avril 1937. D'autre part et surtout, le tableau particulier de Basilio, peintre amateur, assez naïf et témoin des bombardements des  Nationalistes, figurant un héron cendré. Deux visions d'un même fait historique. L'un absent, l'autre présent.
Ce livre magnifique se focalise sur l'essence même de l'art. Pour notre protagoniste, la peinture témoigne du vivant invisible, de l'impalpable, d'une réalité différente de celle contenue dans les livres d'Histoire. Tel est le pouvoir de l'art, l'exploration des profondeurs, vibrantes, insaisissables impliquant un regard insoumis. L'art comme arme, l'art comme survie.
Antoine Choplin invoque notre imaginaire avec une écriture très visuelle, claire, faite de phrases courtes, poétique sans jamais être lyrique, pour ainsi donner corps à ce récit aux arômes végétaux, aquatiques et poivrés.
UN TEXTE BRILLANT !


Le héron de Guernica, Antoine Choplin éd. La Brune au Rouergue 16 €

dimanche 7 août 2011

"C'est sa Voix, Poussière Brûlée"*

"Oui, je les y amènerai. Mes enfants verront les steppes et les savanes du Sud, ils humeront le plateau mandingue, la falaise de Tamboura, ils étancheront leur soif sur le rivage de Falémé. La plaine de Diourou et le pays Dogon les accueilleront. Fils du peuple, ils s'enivreront sur les murailles de Bandiagara, là où Amadou Hampaté Bâ a laissé son empreinte. Ils fouleront le sol de Macina des Peuls, fierté contée à la fillette, dont le rêve s'épanche en Occident. Ils seront initiés au bambara, au roulement de l'erg dans l'adrar des Iforas. Une dune leur servira de nid un soir de retraite, quand ils se sentiront perdus avec leurs deux cultures. Je leur montrerai ma terre, celle de leurs ancêtres, sur laquelle on leur contera la légende des Cissé. Ils sauront d'où ils viennent et lèveront la tête chaque fois qu'on leur fera croire qu'ils ne sont rien. Sûr, je vous y amènerai."


Cette voix, c'est celle de Khadi Hane à travers son personnage, Khadîdja Cissé. Née au Mali, mère de quatre enfant, Khadîdja vit à l'intérieur d'un immeuble dans le quartier de Château-Rouge à Paris, où fleurent cancans, mafé, boubous. Tout ce petit monde s'acharne sur notre protagoniste qui, allant contre la tradition, s'est offerte à un Blanc avec lequel elle a eu un enfant. Le chef de Sonacottra, ses voisines, l'assistante sociale et ses propres enfants jugent et condamnent la relation et les actes de cette femme pour autant libre. 
Un livre choc, court. La tranche de vie d'une malienne partagée entre deux cultures, entre deux pays. On parle dans ce livre d'un cas singulier mais aussi de la vie survoltée d'un quartier, celui de Château-Rouge, le ghetto des maliens sans papiers. Un livre qui frappe, qui réveille, qui indigne et qui vous touchera, je l'espère. Un livre engagé qui insulte les croyances instaurées par une société patriarcale qui sangle la femme malienne. La pauvreté et la faim, autres sujets sensibles rendent, quelquefois, la lecture de ce récit douloureux mais Khadi Hane sème son humour là où il faut pour ne pas le faire pencher du côté du misérabilisme. C'est un femme puissante, forte, intelligente et émancipée qui soulève avec panache les problèmes de l'émigration du point de vue du désenchantement. 
Un livre à glisser dans la poche de tous les cons.
J'AI ADORÉ CE ROMAN FRANCAIS ENGAGÉ, FOURMILLANT ET FERTILE !
*Paroles de la chanson Noir et Blanc, Bernard Lavilliers


Vous aimerez:
- Eldorado, Laurent Gaudé éd. Babel 7,50 €
- Dans la mer il y a des crocodiles, Fabio Geda éd. Liana Levi 15 €


Des fourmis dans la bouche, Khadi Hane éd. Denoël 14,50 €
Sur les traces d'Amkoullel, l'enfant peul, Amadou Hampâté Bâ éd. Babel 7,50 € 
Château rouge, Abd Al Malik, CD Barclay 

samedi 6 août 2011

On the Road Again !

"Dans mon pick-up, j'ai été pris d'une toux qui ne passait pas. J'ai eu des haut-le-coeur en mettant le moteur en marche, et j'ai laissé tomber un mince filet de bile sur le siège. J'ai dépassé deux voitures de sécurité en rejoignant l'autoroute. Je savais que le passé n'était pas réel. Il n'étais plus qu'une idée ; et cette chose que j'avais voulu toucher et effleurer, cette sensation que je n'arrivais pas à nommer, n'existait tout simplement pas. Elle aussi n'était qu'une idée.
Je suppose qu'il faut être très prudent dans la façon dont on se sert de ses souvenirs.
Le problème, c'était qu'une fois que je m'étais avoué cela, tout ce qui m'était un jour arrivé me paraissait toujours aussi important, et même plus qu'avant. C'est le genre de chose qu'on a achetée au prix de sa vie."


Galveston représente "une longue histoire peuplée d'orphelins". Roy Gary, ancien cow-boy sur le déclin vit semble-il paisiblement, entre petit boulot pour son boss Cecil, Sage, son chien et ses bouquins. Pourtant, quand il revient sur son passé tout ne fut pas si calme. A la Nouvelle-Orléans, ancien homme de main pour des ritals, Roy est pris au piège dans un guet-apens qu'il va réussir à déjouer, en tuant et fuyant, emmenant dans sa course, une pute et la petite Tiffany. De motels en règlements de compte, notre trio infernal laisse entrevoir toute une humanité faite de fêlures, une Amérique hors-norme, noire, effrayante et attachante. Un road-movie comme je les aime, intelligent, bien écrit, avec des personnages dignes de se retrouver dans les plus grands westerns.
Un coup de coeur pour cette cavale sanglante et rythmée au propos profond, au langage brut. Tout simplement GÉNIAL !




Vous aimerez : 
- Rafael, derniers jours, Gregory McDonald éd. 10/18 7 €
- Outside Valentine, Liza Ward éd. 10/18 7,90 €
- Putain d'Olivia, Mark safranko éd. 13e Note 19 €
- Régime sec, Dan Fante éd. 13e Note 19 €
- Sur la route, Jack Kerouac éd. Folio 7,80 €
- Las Vegas parano, Hunter S. Thompson éd. Folio 6,20 €



Galveston, Nic Pizzolatto éd. Belfond  19 €

jeudi 4 août 2011

Enfermés Dehors

 "J'écoute très fort. L'air froid entre dans la Chambre. Si je sortais la tête de Petit Dressing, il y aurait Madame Porte en train de s'ouvrir et je parie que je pourrais voir les étoiles, les vaisseaux, les planètes et aussi les extraterrestres qui foncent dans leurs ovnis. J'aimerais tellement-tellement les voir."


Jack, qui vient de fêter ses cinq ans, est différent des autres enfants . Malgré des préoccupations certes similaires, Jack fait preuve d'une précocité impressionnante. Depuis sept ans, Jack vit seul avec sa mère, séquestré par Grand Méchant Nick dans ce qu'il appelle une Chambre. Une histoire à la Natacha Kampusch, sauf que des viols, naît un garçon que la mère tente de protéger du mieux qu'elle peut en instaurant un microcosme.  Une sphère où l'enfant va laisser libre cours à son imagination, une sphère peuplée d'objets prenant vie, de jeux, auxquelles s'ajoutent des règles et des rites. Jack ne se rend pas compte de l'abomination de la situation puisqu'il ne connaît que cette réalité. Fatiguée de cet enfer, sa mère va mettre au point une stratégie afin qu'ils s'échappent. Jack va faire en sorte que la grande évasion réussisse... cependant... la mère et sont fils vont connaître des difficultés pour s'adapter à leur nouvel environnement. Comment éprouver le monde extérieur ? Comment faire le deuil du passé pour permettre à nos deux miraculés d'avancer ? Beaucoup de questions et beaucoup d'émotions, sans guimauve bien-sûr, pour ce récit délicat sur la survie, la résistance et la résilience.
Un excellent roman pour sa qualité d'écriture -un roman des mots et du mal- avec une grande charge émotionnelle, inventif et empathique. Vous n'en ressortirez pas indemne (eh oui, j'avoue, je me suis allée à y laisser quelques larmes).
Un livre dont on va sûrement parler à la rentrée, au même titre que Purge de Sofi Oksanen, en 2010.


Room, Emma Donoghue, éd. Stock 21,50 €

lundi 1 août 2011

Mécanique du Vide

Difficile d'enchaîner sur un autre livre lorsque la lecture du précédent vous a séduite. Le pied mécanique m'est tombé des mains. Le sujet me paraissait intéressant - l'histoire absurde d'un yuppie, jeune avocat avide qui ne contrôle plus ses jambes, et qui ne peut s'empêcher de marcher, marcher. Imaginez-vous la gêne occasionnée ! La drôlerie n'est même pas exploitée. Sujet déjà traité maintes et maintes fois -la critique de cette classe sociale que comptent les cadres américains, trader ou agent, froids, ambitieux et impitoyables, ayant soif d'aller toujours plus haut- c'est juste la manière de l'aborder qui semble plus originale. Cependant, je préfère des textes plus cinglants, comme ont pu les écrire Bret Easton Ellis, Chuck Palahniuk, Jonathan Franzen, Jay McInerney. J'ai lu les 100 premières pages et les 2 dernières. Il m'était impossible de continuer et j'ai donc stopper net la lecture de ce roman. 
ENNUYEUX ! 

Préférez au Pied Mécanique :
- Trente ans et des poussières, Jay McInerney éd. Points 8 € 
- Les corrections, Jonathan franzen éd. Points 8,50 €
- American Psycho, bret Easton Ellis éd. 10/18 10 €
- L'intrusion, Adam Haslett éd. Gallimard 21 €
- Cosmopolis, Don Delillo éd. Babel 7,50 €
- L'état des lieux, Richard Ford éd. Points 9 €


Le pied mécanique, Joshua Ferris, éd. JC Lattès 22 €