dimanche 31 juillet 2011

Le Turquetto ou la Renaissance d'un Rat


Portrait de Francesco Donato, Titien
"Elie ne répondit pas. Les yeux sur le tableau, il était submergé d'admiration. A travers la figure du doge, c'était la condition humaine toute entière qu'avait peinte le maître, dans toute sa fragilité, dans l'espoir de pouvoir surmonter la nécessité, un jour, demain ou plus tard, peu importe, mais un jour. Tout était si profondément humain dans ce regard d'homme malade qui luttait pour maintenir sa dignité, dans ces mains, dont l'une aurait pu appartenir à un joueur de viole et l'autre à un portefaix (*homme qui porte des fardeaux), qui rappelaient que l'homme ne pouvait être qu'insaisissable.
Le maître savait décrire les passions et les émotions comme personne. Il ne les apaisait pas. Il les exacerbait. C'était la peinture des passions faite par un homme capable de les dominer. Fort et sûr de lui. Le maître était une forteresse. 
Elie cherchait autre chose. Une peinture qui accueille et rassure."


1531. Constantinople. Elie Soriano, né de famille espagnole juive, fuit la ville, en masquant son identité. On le retrouve quarante ans plus tard, à Venise, devenu un peintre reconnu mais discret. Le Turquetto, qui fut élève du Titien, peint le chef-d'oeuvre de sa vie, une cène emprunte d'humanité, d'humilité, louant la gloire de Venise, rassemblant disegno et colorito, puisant dans les racines du christianisme. Ce juif, qui concentre en lui cette universalité religieuse touchante et rare, né en terre musulmane, ayant vécu dans une ville catholique en pleine période d'inquisition, voit son destin basculer alors qu'il se trouve au sommet de sa gloire. Découvrant sa véritable identité, l'inquisiteur le condamne pour hérésie. Le procès va prendre une tournure théologique, un combat sans merci. Mais l'histoire ne s'arrête pas là... Je vous laisse découvrir la suite de ce texte magnifique, un opéra baroque en quatre actes, savamment orchestré par maestro Metin Arditi.
L'homme aux gants,Titien.1923
Je suis conquise par ce roman car il est de ce genre de récit qui vous embarque de bout en bout  comme ce fut le cas  pour cette pièce d'orfèvre qu'est Parle-leur de bataille, de rois et d'éléphants de Mathias Enard. Même exaltation, même époque, même plaisir de lecture. Le Turquetto s'avère d'une extraordinaire force narrative qui porte un regard philanthropique sur l'humain, en abordant des thèmes tels que l'art, les religions, le pouvoir, le syncrétisme religieux et l'intégration.

Un gros coup de coeur pour ce livre généreux et foisonnant !


Le turquetto, Metin Arditi éd. Actes Sud 19,50 €

1 commentaire:

  1. Je viens de lire cet ouvrage et j' approuve votre article, jusque dans l' évocation du livre d' Enard .
    En revanche, je dirais que c' est le Turquetto qui fait basculer sa propre vie en se mettant en scène dans la ...cène . Contre toute attente, son retour aux sources .

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